Loi de finances pour 2022 : le commentaire de CoinAcademy sur la fiscalité crypto en 2022

Le grand juriste Portalis disait autrefois : “L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit […] et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière.”

Selon lui, c’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application. 

Pourtant, il semblerait que dans le thème des crypto en 2022, tout le monde en France a déserté le navire, puisque ni le législateur, ni l’administration, ni les praticiens, ni les traders ne savent comment s’en sortir sur de nombreux sujets. 

En effet, le législateur a prévu un régime très général, avec plusieurs indications quant à la déclaration des comptes cryptos des traders, et à ce jour de nombreuses zones d’ombre demeurent et laissent les contribuables dans le flou le plus complet

Comme décrit dans nos précédents articles, les particuliers qui exercent des opérations sur les actifs numériques bénéficient d’un régime spécifique d’imposition, prévu dans le Code général des impôts (article 150 VH bis du CGI). Mais les modalités exactes portant sur des thèmes plus précis (NFT, Defi, mining…) ne sont toujours pas détaillées.

Pourtant, les pouvoirs sont dotés de tous les outils pour le faire. A l’Assemblée nationale, chaque année est votée une loi de finances qui vise à déterminer, pour une année civile, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte. C’est au sein de ces lois de finances que l’on trouve les principales dispositions fiscales

Cette année, la loi de finances pour 2022 apporte quelques changements mineurs pour les particuliers détenteurs de cryptomonnaies et se distingue, en revanche, par le nombre de propositions écartées lors des débats parlementaires. 

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Les nouveautés 2022 pour l’imposition des plus-values sur actifs numériques

Deux apports vont retenir notre attention : la possibilité pour les particuliers détenteurs de crypto d’opter pour l’imposition au barème progressif, puis la clarification du statut de l’investisseur qui se livre à de telles opérations dans des conditions analogues à celles d’un professionnel.

La possibilité de déclarer ses actifs numériques sous le régime du barème progressif  

À compter du 1er janvier 2023, les particuliers auront le choix entre : 

  • d’une part, être imposé à la flat tax au taux forfaitaire de 30% 
  • et d’autre part, être imposé au barème progressif de l’impôt sur le revenu. 

Il s’agit d’une vraie nouveauté puisqu’avant les particuliers n’avaient pas vraiment le choix. Désormais, la loi instaure un nouvel article 200 C au sein du Code général des impôts (ci-après “CGI”) : « Par dérogation au premier alinéa, sur option expresse et irrévocable du contribuable, les plus-values mentionnées au premier alinéa sont retenues dans l’assiette du revenu net global défini à l’article 158. Cette option globale est exercée lors du dépôt de la déclaration prévue à l’article 170, et au plus tard avant l’expiration de la date limite de déclaration. »

Cette avancée permet d’aligner le régime fiscal des actifs numériques sur celui des revenus tirés du capital pour lesquels une option existe entre l’impôt à la flat tax et l’impôt au barème progressif. 

On notera que cette disposition sera particulièrement intéressante pour les petits portefeuilles et notamment lorsqu’ils n’ont pas ou peu d’autres revenus. 

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L’imposition crypto dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC)

Pour remédier à la qualification incertaine de l’activité professionnelle du détenteur d’actifs numériques, une proposition vise à ce que le caractère professionnel soit apprécié en vertu de conditions analogues à celles caractérisant une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opération (par exemple, les opérations de bourse). 

En effet, l‘article 92 du code général des impôts est ainsi modifié afin de préciser que les cessions d’actifs numériques réalisées « dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations » se voient appliquer le régime des BNC.

Qu’apporte ce changement ? Pour le moment, lorsque le fisc cherche à qualifier votre activité (professionnel ou particulier), il s’appuiera sur des critères propres aux bénéfices industriels et commerciaux. Deux critères quantitatifs sont utilisés en la matière : le nombre de vos transactions et le montant de vos plus-values

Ces critères sont évidemment peu pertinents pour déterminer la qualité de professionnel d’une personne qui détient des cryptos comme un particulier. 

En effet, en la matière, les transactions sont souvent très nombreuses puisqu’un accès à internet, voire un simple téléphone portable, suffit pour en réaliser un nombre conséquent. Il serait illusoire de montrer qu’un trader de cryptomonnaies est professionnel simplement parce qu’il fait beaucoup de transactions.

En ce qui concerne le montant de vos plus-values générées par ces transactions, elles peuvent être extrêmement conséquentes, en témoigne l’évolution des cours ces dernières années. Bank of America a publié un rapport  en 2019 dans lequel elle indique que le bitcoin représente l’investissement le plus abouti et le plus rentable de ces dix dernières années. Ce critère n’est donc pas davantage pertinent. 

À compter du 1er janvier 2023, ce sont donc les critères des BNC qui seront utilisés, et non plus les critères que l’on vient d’exposer. C’est heureux puisque contrairement aux critères quantitatifs, les critères BNC permettant de distinguer les activités patrimoniales et professionnelles sont des critères qualitatifs.

Concrètement, l’administration fiscale cherchera si vous utilisez, ou non, des outils professionnels permettant, notamment, d’obtenir certaines informations ou de réaliser plus de profits (par exemple, des recours à des prêts, des sûretés type cautionnement ou autre). Par ailleurs, l’administration comparera vos revenus sur cryptos avec vos autres revenus dans le but de déceler la part qui occupe les cryptos dans l’activité globale. 

Un apport certes salutaire, mais qui devra être précisé, complété par la doctrine de l’administration fiscale avant son entrée en vigueur le 1er janvier 2023 (sans quoi l’incertitude sur la qualification persistera, faute de précision). 

Pour l’heure ce sont, hélas, les seules avancées apportées au cadre fiscal des particuliers exerçant des opérations sur actifs numériques. 

Malgré ces apports ponctuels, les rejets restent nombreux. Force est de constater que le législateur français est bien au courant de l’existence de toutes les problématiques non résolues du monde des crypto, mais pour le moment il ne semble absolument pas motivé pour les régler.

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Les propositions rejetées : ces règles de fiscalité crypto qui restent imprécises en 2022

Les rejets sont évidemment plus nombreux que les apports. Voici quelques propositions qui, aux yeux des rédacteurs, auraient permis de contribuer à rendre plus favorable le cadre fiscal français. 

L’imprécision relative aux NFT

Concernant les non-fungible tokens, l’amendement I-1804 prévoyait que les plus-values sur cession de NFT ne soient pas soumises au régime des plus-values sur actifs numériques, mais soumises au régime d’imposition relatif au sous-jacent (c’est-à-dire, régime de œuvre d’art si le sous-jacent est une œuvre d’art, etc.). Cette proposition a malheureusement été écartée, d’autant plus que c’est celle que nous soutenons dans notre article relatif à la fiscalité des NFT.

Cet amendement aurait eu le mérite de clarifier la qualification du NFT. Doit-on s’intéresser à la technique (le certificat d’authentification inscrit sur une blockchain), ou bien au sous-jacent ? L’avenir nous le dira, mais pas cette loi de 2022. 

Toutefois, l’adoption de cette disposition aurait eu pour effet d’exclure expressément le NFT de la qualification d’actif numérique et le crypto investisseur ne pourrait plus prétendre à la neutralité fiscale des opérations entre actifs numériques. 

Au-delà de cette loi de finances, le député Les Républicains Véronique Louwagie a posé récemment une question écrite au ministre de l’Économie (n°43760) sur le régime applicable aux cessions (de NFT) à titre habituel par une personne physique. 

La réponse de Bruno Le Maire est certes attendue, mais les rédacteurs considèrent que le problème a été mal cerné par le député. En effet, une telle cession, à titre habituel devrait, par défaut, être imposable dans la catégorie des BIC. Le véritable enjeu, c’est le régime des cessions à titre occasionnel car plusieurs catégories d’imposition se trouvent en conflit (régime des biens meubles, régime des actifs numériques, régime des œuvres d’art pour les NFT artistiques). 

Il faut donc considérer que, pour l’heure, la question juridique et fiscale relative aux NFT est loin d’être résolue

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Rejet de l’exonération d’impôt en cas d’utilisation d’actifs numériques comme moyen de paiement

Par l’amendement I-1893, le député M. Pierre Person avait proposé d’instituer une exonération d’impôt en cas d’utilisation d’une crypto card pour un montant n’excédant pas 3.000 euros

Cette proposition visait à faciliter l’utilisation des cartes de paiement crypto dont l’utilisation entraîne aujourd’hui des obligations déclaratives agressives, mais les députés ont préféré considérer qu’il était “trop tôt” pour légiférer sur ce point

Pour davantage de précision sur la fiscalité des cartes crypto, le lecteur est invité à se référer à notre article dédié à ce sujet : https://coinacademy.fr/academie/impots-cartes-cryptos/ 

Rejet de la possibilité d’imputation des plus ou moins-values sur les plus-values crypto des années suivantes

Enfin, il avait été suggéré d’offrir la possibilité d’imputer les moins values sur actifs numériques, sur les plus values sur actifs numériques des années suivantes. Le député Pierre Person proposait qu’un tel report soit possible jusqu’à la troisième année, alors que le député M. Magnier avait proposé d’étendre le report jusqu’à la dixième année. Cette proposition s’inscrit également dans cette démarche de rapprochement entre la fiscalité des plus-values sur cessions d’actifs numériques et la fiscalité des cessions de valeurs mobilières, qui prévoit un tel report. 

Pour les signataires, cette proposition avait pour but d’inciter les détenteurs d’actifs numériques à réinvestir leurs avoirs dans l’économie réelle du fait de cette possibilité de déduction. Mais cette proposition a été rejetée au motif qu’elle accorde un autre avantage fiscal aux crypto-investisseurs qui disposent déjà de la neutralité fiscale sur leurs échanges entre actifs numériques.

Pour les parlementaires, il faudrait, pour pouvoir instaurer ce genre de mesure, modifier la fiscalité sur les échanges entre cryptos, ce qui n’est pas l’intérêt des détenteurs de ces actifs. 

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Les autres propositions pour une amélioration de la fiscalité crypto écartées

D’autres propositions, tout aussi intéressantes, ont été écartées : 

  • Reporter l’imposition de la plus-value réalisée dans le cadre d’un apport d’actifs numériques à une société soumise à l’impôt sur les sociétés en cas de respect des conditions du dispositif de l’article 150-0 B ter du CGI ; 
  • Reporter l’imposition de la plus-value sur actifs numériques réalisée par un particulier sous conditions de réinvestissement, notamment dans le secteur de la culture ;
  • Aligner le régime des attributions gratuites d’actifs numériques sur le régime d‘attributions gratuites d’actions ;

Conclusion : un législateur plutôt dépassé, ou plutôt oisif ?

La France devrait promptement préciser les contours juridiques et fiscaux de ces nouvelles activités, à défaut de quoi elle sera en retard par rapport au reste du monde. A ce sujet, la régulation peut être un facteur de croissance, car la stabilité et la transparence garantissent une saine concurrence entre les différents acteurs économiques ainsi qu’une protection des détenteurs de ces actifs, ce qui contribue à attirer/conserver les talents et les capitaux qui feront la prospérité de demain.

Malheureusement, en 2022 aucune proposition n’incite les particuliers à retirer leurs cryptomonnaies en argent fiat pour déclencher le fait générateur de l’imposition, alors que de telles mesures seraient susceptibles d’entraîner davantage de flux vers l’économie réelle, ce qui devrait être encouragé. 

Pour reprendre Portalis, c’est donc “à l’expérience à combler successivement les vides que nous laissons” – et donc aux praticiens de faire preuve d’inventivité pour tenter de résoudre toutes les incertitudes dans le quotidien fiscal des traders.

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