- Un amendement adopté en commission impose une déclaration annuelle des portefeuilles crypto auto-hébergés dès 5 000 €, sans vente ni conversion préalable.
- La mesure vise les wallets non custodial comme Ledger ou MetaMask et modifie directement le Code général des impôts.
- L’écosystème crypto dénonce un régime d’exception juridiquement fragile, difficilement applicable et risqué pour la sécurité des données.
L’Assemblée nationale a adopté en commission un amendement fiscal qui a immédiatement mis le feu aux poudres dans l’écosystème crypto français. Le texte instaure une obligation de déclaration annuelle pour les détenteurs de portefeuilles numériques auto-hébergés (comprenez wallet non-custodial type Ledger, MetaMask, Rabby) dès lors que leur valeur dépasse 5 000 euros. Une mesure présentée comme un outil de lutte contre la fraude fiscale, mais perçue par le secteur comme une rupture majeure, à la fois juridique, opérationnelle et symbolique.
Concrètement, cet amendement complète l’article 1649 AC bis du Code général des impôts en imposant aux particuliers détenant des actifs numériques en self-custody, c’est-à-dire sans intermédiaire régulé, de notifier chaque année à l’administration fiscale la valeur vénale de leur portefeuille. Sont visés les hardware wallets comme Ledger ou les software wallets de type MetaMask, indépendamment de toute vente ou conversion en euros.
Une volonté affichée de combler un angle mort fiscal
L’exposé des motifs est explicite. Le législateur cherche à étendre la visibilité de l’administration au-delà des plateformes centralisées, déjà largement encadrées via les obligations déclaratives des PSAN. Le texte s’appuie notamment sur un rapport de la Cour des comptes publié en 2023, qui pointait le manque de lisibilité des portefeuilles détenus directement sur la blockchain.
Selon les auteurs de l’amendement, cette opacité ferait des wallets auto-hébergés un outil privilégié pour réduire l’assiette fiscale. L’obligation de notification viserait donc à intégrer ces actifs dans le champ de la surveillance patrimoniale, afin de limiter les risques d’évasion et de fraude.
Un régime d’exception qui inquiète le secteur
Pour les acteurs de l’écosystème, la mesure crée un précédent dangereux. L’ADAN, par la voix de sa directrice générale Claire Balva, dénonce l’instauration d’une surveillance patrimoniale généralisée qui n’existe pour aucun autre actif détenu sans intermédiaire. Or, ni l’or physique, ni les œuvres d’art, ni les bijoux ne font l’objet d’une obligation comparable en l’absence de cession.
Cette asymétrie alimente le sentiment d’un régime d’exception appliqué aux cryptomonnaies. D’autant plus que le droit fiscal français repose aujourd’hui sur un principe clair : l’imposition des plus-values intervient uniquement lors de la conversion en monnaie fiat ou équivalent. Exiger une déclaration annuelle de valeur sans fait générateur d’impôt apparaît, pour beaucoup, incohérent et juridiquement fragile.
Sécurité des données et applicabilité en question
Au-delà du principe, les critiques portent aussi sur les risques opérationnels. Centraliser les informations relatives à l’identité des détenteurs et à la valeur de leurs actifs numériques pose un problème de sécurité évident. Les précédents récents de fuites de données impliquant des organismes publics renforcent ces inquiétudes, dans un contexte où les agressions et tentatives d’extorsion liées aux cryptos se multiplient.
CoinAcademy le mentionnait ce matin, en juillet 2025, une fonctionnaire de la Direction générale des finances publiques âgée d’une trentaine d’années a été arrêtée et mise en examen pour avoir fourni des informations confidentielles issues des bases de données fiscales à des réseaux criminels. Elle a été écrouée pour des chefs d’accusation incluant “association de malfaiteurs”, “corruption passive” et “violation du secret professionnel”, mais l’affaire rappelle surtout qu’aucune donnée partagée avec l’administration est vraiment à l’abri.
Enfin, la mesure est jugée largement inapplicable. L’administration n’a aucun moyen technique de vérifier l’existence d’un portefeuille auto-hébergé ni la valorisation déclarée. Tout reposerait sur l’auto-déclaration, sans méthodologie standardisée et sans capacité de contrôle réel.
Un débat loin d’être clos
Soutenu de manière transpartisane, l’amendement a de fortes chances de survivre au parcours parlementaire. Mais son adoption définitive ouvrirait un débat explosif sur ses modalités d’application et sur l’équilibre entre efficacité fiscale et respect des libertés individuelles.
Pour une grande partie du secteur, cet épisode illustre une approche perçue comme typiquement française : une usine à gaz fiscale, conçue sans maîtrise fine des technologies concernées, et porteuse de risques systémiques pour un écosystème déjà sous pression réglementaire. Le choc entre Web3 et administration fiscale ne fait sans doute que commencer.