Le secteur financier repose encore sur d’anciennes infrastructures, souvent coûteuses et peu transparentes. L’essor des Real World Assets (RWA) sur la blockchain ouvre la voie à une modernisation : prêts, titres ou produits de trésorerie commencent à être tokenisés.
Créée en 2018, Provenance Blockchain s’inscrit dans cette dynamique.
Construite sur le Cosmos SDK, elle se distingue des blockchains généralistes en ciblant exclusivement la finance.
Adoptée dès ses débuts par Figure Technology Solutions, qui y a déployé ses premiers produits, elle revendique aujourd’hui un rôle central dans la finance “on-chain”.
Le problème que Provenance cherche à résoudre
Les infrastructures financières reposent encore sur des systèmes hérités, coûteux et fragmentés. Dans les prêts hypothécaires, par exemple, des registres comme MERS restent centralisés et peu transparents.
Ces mécanismes posent trois limites : un manque d’efficacité (jusqu’à 75 % des budgets IT absorbés par la maintenance), une opacité structurelle qui complique la vérification des flux, et un accès réservé aux acteurs disposant de capitaux ou de relations établies.
Il en résulte une finance à deux vitesses : produits sophistiqués pour les grandes institutions, frais élevés et offre réduite pour les autres.
La question devient alors centrale : comment bâtir une infrastructure offrant rapidité, transparence et accessibilité, tout en respectant les exigences de sécurité et de conformité ? C’est le défi auquel Provenance entend répondre.
La solution proposée : Provenance Blockchain
Fondée en 2018, Provenance Blockchain est un layer 1 conçu pour les marchés financiers.
Contrairement aux blockchains généralistes comme Ethereum ou Solana, qui accueillent une variété d’applications allant de la DeFi au gaming, Provenance adopte une approche spécialisée.
Elle vise à répondre aux besoins institutionnels : enregistrement, règlement et circulation d’actifs financiers dans un cadre conforme et transparent.
La chaîne repose sur trois fonctions essentielles :
- Elle agit d’abord comme un registre en garantissant une conservation claire et immuable des droits de propriété sur les actifs.
- Elle fonctionne ensuite comme un ledger retraçant l’ensemble des flux de transactions de manière vérifiable.
- Enfin, elle sert de moteur d’échange, en permettant le règlement instantané d’actifs entre contreparties, sans passer par des chambres de compensation ou des intermédiaires.
Sur le plan technique, Provenance est construite avec le Cosmos SDK. La blockchain peut ainsi se connecter à d’autres réseaux de l’écosystème Cosmos, mais aussi à des environnements externes via des solutions comme Axelar.
L’infrastructure intègre plusieurs innovations spécifiques au domaine financier.
Les Markers permettent de créer des tokens directement au niveau du protocole, avec des règles de transfert intégrées.
Contrairement à un ERC-20 déployé par smart contract, un Marker peut appliquer nativement des restrictions réglementaires, comme la limitation de transferts à des investisseurs qualifiés.
Le Hold Module ajoute un mécanisme proche d’une pré-autorisation bancaire : un actif peut être temporairement bloqué pendant qu’une transaction se finalise, sans avoir à le transférer dans un compte d’escrow tiers.
Quant au registre DART (Digital Asset Registration Technology), il assure la validité juridique de certains actifs comme les prêts hypothécaires, en les inscrivant directement sur la blockchain tout en respectant les cadres légaux existants (ESIGN, UETA).
Enfin, Provenance a conçu un modèle de frais adapté aux institutions financières.
Plutôt que de laisser le prix du gas fluctuer en fonction de la congestion, comme sur Ethereum, la chaîne applique un système de frais fixes et prévisibles.
Ces frais sont libellés en dollars mais réglés en HASH, le token natif du réseau. Cette approche répond à une exigence clé des acteurs financiers, qui est la possibilité d’anticiper avec précision leurs coûts opérationnels.
Cas d’usage et liens avec Figure
Provenance Blockchain n’a pas vu émerger un écosystème varié d’applications construites par des équipes indépendantes.
Jusqu’à aujourd’hui, la quasi-totalité de l’activité repose sur Figure Technology Solutions et ses filiales, elles-mêmes fondées par les créateurs de Provenance.
Le seul autre projet qui semble s’être développé sur Provenance est Infineo, une entreprise américaine qui a pour objectif de tokeniser des assurances vie.
L’infrastructure et l’application sont donc intimement liées, au point qu’il est difficile de savoir si l’on parle d’un réseau décentralisé ou d’une extension technologique d’une entreprise privée.
Autrement dit, Provenance n’a pas encore trouvé sa traction organique : les produits phares sont développés par les mêmes personnes qui contrôlent la blockchain.
Figure et ses produits
Figure Technology Solutions se présente comme une fintech qui digitalise les services financiers grâce à la blockchain. Depuis 2018, l’entreprise a multiplié les produits en s’appuyant sur Provenance comme socle technologique.
Le premier et le plus important concerne les Home Equity Lines of Credit (HELOCs).
Grâce au registre DART, ces prêts hypothécaires sont inscrits directement sur la blockchain, créant un actif numérique qui peut être transféré et titrisé. Ce processus remplace des registres traditionnels comme MERS, tout en réduisant les coûts et en accélérant les règlements.
Autour de ce pilier, Figure a construit d’autres briques :
- Figure Connect, une marketplace qui permet la cession et la titrisation de prêts entre investisseurs.
- Crypto-backed loans, où des actifs numériques servent de collatéral pour accéder à de la liquidité en dollars.
- YLDS, un stablecoin rémunéré indexé sur l’USD, adossé à des fonds monétaires et pensé comme une alternative “on-chain” aux dépôts de trésorerie.
- Figure Markets, un exchange centralisé qui ambitionne de lister des actions, obligations et titres tokenisés, mais qui reste, pour l’instant, limité à quelques cryptomonnaies
En 2025, Figure a utilisé Provenance pour réaliser une titrisation de 355 millions de dollars de prêts hypothécaires.
Des prêts ont été regroupés, transformés en obligations et revendus à des investisseurs, mais cette fois avec un enregistrement et un suivi sur blockchain.
L’opération a marqué une étape importante puisqu’elle a été évaluée par S&P Global Ratings, qui a attribué des notes allant jusqu’à AAA.
En tout, plus de trente institutions, dont des assureurs et des fonds, y ont participé, ce qui montre l’intérêt du marché pour ce type de produits.
Figure a d’ailleurs récemment annoncé avoir déposé une demande pour être listé au Nasdaq sous le ticker $FIGR.
Utilité et tokenomics du token HASH de Provenance
Le fonctionnement économique de Provenance repose sur son token natif, HASH.
Celui-ci sert à payer les frais de transaction, participer au staking et à la gouvernance, mais aussi à accéder aux enchères organisées via le HASH Market.
La distribution initiale du token reste un sujet de débat.
Près de 47 % de l’offre initiale a été allouée à la team et aux investisseurs, et 28 % supplémentaires à l’écosystème, une catégorie largement dominée par Figure et ses filiales.
Autrement dit, près de 75 % de l’offre initiale se retrouve contrôlée directement ou indirectement par les fondateurs et les investisseurs.
Le modèle monétaire combine inflation dynamique et mécanismes de burn. L’inflation diminue à mesure que le taux de staking augmente, ce qui incite les détenteurs à bloquer leurs tokens pour éviter la dilution.
Parallèlement, le HASH Market organise des enchères où les frais collectés en USDC, BTC ou autres actifs sont proposés aux détenteurs. Pour y participer, il faut enchérir en HASH, et les tokens utilisés par les gagnants sont ensuite brûlés, réduisant l’offre en circulation.
En théorie, ce système cherche à équilibrer rareté et liquidité. En pratique, la liquidité du HASH reste faible : le token est peu listé, difficilement accessible hors de Figure Markets, et son adoption dépend presque exclusivement de l’activité de Figure.
Limites et critiques autour de Provenance
Provenance existe depuis 2018 mais ne dispose toujours pas d’un whitepaper détaillé à jour. Cette absence surprend pour un projet qui prétend servir de colonne vertébrale aux marchés financiers. La documentation publique se limite à des annonces et à des pages marketing.
Sur le plan technique, peu de détails concrets sont disponibles. Le discours met en avant des concepts comme Markers ou Hold Module, mais sans description approfondie ni audit public. La communication s’appuie beaucoup sur des buzzwords sans livrer de preuves tangibles.
L’autre critique majeure concerne la dépendance à Figure.
Dans les faits, la blockchain semble avoir été créée avant tout pour servir les besoins d’une seule entreprise, qui contrôle encore l’essentiel des cas d’usage.
Contrairement à Ethereum, il n’existe pas d’écosystème diversifié construit par des acteurs tiers. On ne peut donc pas parler d’un développement organique.
Les chiffres publiés renforcent ce paradoxe.
Provenance revendique 16,3 milliards de dollars de TVL, un loan balance de 12,6 milliards et plus de 57 000 utilisateurs.
Mais il est difficile de vérifier la fiabilité de ces données. Leur propre explorer ne fonctionne pas correctement, empêchant toute analyse indépendante de l’activité réelle.
Les volumes affichés semblent surtout refléter l’activité de Figure, et non celle d’un écosystème blockchain.
Enfin, Provenance affirme représenter près de 79 % du marché du crédit privé on-chain. Mais là encore, la méthodologie n’est pas transparente et aucune source externe n’a pu confirmer ce chiffre. Sans données vérifiables, ces statistiques ressemblent davantage à un argument commercial qu’à une mesure objective de l’adoption.
En résumé, Provenance combine une image institutionnelle forte et des annonces impressionnantes, mais reste fragile en termes de crédibilité. Sans ouverture à d’autres acteurs que Figure et sans transparence sur ses métriques, la légitimité du projet comme blockchain financière indépendante reste très incertaine.
En particulier à une période où émergent plusieurs concurrents comme Plasma, Arc ou même Ondo.
À ce stade, Provenance et Figure ont démontré leur capacité à créer des produits qui fonctionnent et suscitent l’intérêt des investisseurs.
Mais la blockchain apparaît encore surtout comme une extension de Figure, davantage tournée vers la finance traditionnelle que vers le développement d’un véritable écosystème on-chain, même si la fondation affirme vouloir soutenir de futures initiatives externes.