Dernière modification effectuée le 07.09.2023 00:00
Le 25 novembre 2021, Nayib Bukele, Président du Salvador connu pour son attrait pour le Bitcoin présentait devant une foule de sympathisants son nouveau projet pour faire rayonner son pays à l’internationale : Bitcoin City.
Le projet : une ville 100% alimentée par une énergie verte (utilisation de l’activité volcanique importante de la région) dénuée de toute imposition (si ce n’est une taxe sur la valeur ajoutée de 10%) et entièrement dédiée au Bitcoin idéalement localisée dans le Golfe de Fonseca.
Cette nouvelle peut paraître insolite et pourrait rappeler certains souvenirs à nos amis gamers avec Rapture (Bioshock à l’ancienne) ou Night City (Cyberpunk 2077 pour les d’jeuns), cependant tout n’a pas été qu’effet d’annonce lors de la conférence de presse organisé par le Président salvadorien. Nayib Bukele veut faire de son pays, par le biais de Bitcoin City, la nouvelle place financière d’Amérique Latine, le “Singapour de l’Amérique du Sud”.
En outre, pour financer ce chantier, l’état du Salvador, en coopération avec la société Blockstream, va émettre des “Bitcoins Bonds” baptisés EBB1. Un nouvel actif financier qui, pour la première fois, sera backé par Bitcoin.
EBB1 : une originalité financière
Le “El Salvador Bitcoin Bond 1” est le premier produit financier directement backé par des bitcoins, ce qui ne manquera pas à nos maximalistes préférés de faire le lien avec la théorie d'utiliser Bitcoin comme de l’or numérique. Mais commençons par le début : qu’est-ce qu’un bond ?
Un bond, c’est tout simplement ce que l’on appelle “une obligation”, à savoir une valeur mobilière qui représente une reconnaissance de dette d’une personne envers le propriétaire de l’obligation. Le détenteur prête des fonds et attend un remboursement au terme d’une certaine période (10 ans par exemple). Chaque année celui-ci va recevoir le paiement d’intérêts généralement fixes, faisant de l’obligation un investissement moins risqué que l’action (puisque le retour sur investissement de cette dernière dépend de l’activité de l’entreprise). Par ailleurs, en cas de défaut de paiement, les obligataires (détenteurs de l’obligation) se remboursent sur les actifs de la société avant les actionnaires.
Les obligations sont souvent privilégiées par les États puisqu’ils sont backés par la notion d’État : un État fait très rarement faillite et est perpétuel. Il y a donc très peu de chance de ne pas retrouver son investissement. C’est d’ailleurs pour cela que les taux de rendement sont bas, voire négatif depuis la crise de 2008*.
*Attention quant aux taux négatifs, beaucoup d’amalgames sont diffusés dans les médias. Personne ne paye pour prêter, cela va à l’encontre de tout intérêt économique. Les taux d’intérêt négatifs sont à relier à la notion de “quantitative easing” ou “assouplissement quantitatif” déjà abordée dans cet article.
Ainsi, une obligation d’État est backé par l’État lui-même et sa capacité théorique de rembourser (par le biais de la levée de l’impôt ou grâce aux actifs qu’il détient). Une entreprise est backée par son actif et la promesse de se rembourser sur celui-ci en cas de défaut.
L’EBB1 innove en la matière puisque les prêts accordés par les investisseurs seront backé par des bitcoins : l’EBB1 sera une levée de fonds d’un milliard de dollars américains qui seront directement divisés en deux parties. 500 millions iront dans le financement des infrastructures de Bitcoin City, notamment la construction d’une centrale électrique alimentée par l’activité volcanique. Les 500 millions de dollars restants seront investis dans l’achat de bitcoins.
Le Président Bukele fait ainsi le pari long terme de la montée du bitcoin pour financer la ville, mais également des fermes de minings, mettant le Salvador dans une position de contributeur important du réseau Bitcoin.
La politique fiscale appliquée aux futurs résidents de Bitcoin City sera extrêmement avantageuse (qualifiable de paradis fiscal). Seule une Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) de 10% sera appliquée : 5% pour financer le remboursement des EBB et 5% pour les services publics (nettoyage des rues, réseaux sanitaires, etc). À terme, les Bitcoin Bonds se rembourseront par eux-mêmes dans le scénario où la ville attire bel et bien des capitaux étrangers.
Pour rassurer les sceptiques, les États sont généralement financés en grande partie par la TVA, par exemple en France, 50% du budget de l’État est financé par ce biais, avec une taxe de 20%.
EBB1 : un bon investissement ?
Samson Mow, CEO de Blockstream, a présenté le projet EBB1 et estime qu’un rendement à terme de 35% est un minimum. En outre les obligations EBB1 seront d’une durée de 10 ans avec un rendement de 6,5% par an pour les 5 premières années. Les suivantes seront accompagnées d’une récompense alternative en bitcoins (sans doute financés par une partie des achats réalisés à l’émission des titres et par le mining) pour obtenir un rendement potentiel de 146%.
Pour information, les obligations d’État de la France (OAT) pour une même durée sont rémunérées au taux de 0,033%.
L’investissement parait donc extrêmement rentable à première vue. Bien sûr, tout cela est tributaire du succès du Salvador à attirer les nouveaux capitaux formés grâce aux cryptomonnaies. Samson Mow a également précisé que d’autres EBB seraient lancés à l'avenir.
Que penser d’une telle décision ?
Il y a plusieurs façons de voir cette initiative :
D’un point de vue purement stratégique, l’idée de surfer sur le bull run pour entreprendre des actions concrètes sur l’organisation d’une société autour du réseau Bitcoin est un pari qui pourrait s’avérer gagnant à terme non seulement pour faire du Salvador une place financière incontournable tournée vers les cryptomonnaies, mais également un refuge pour les désabusés des politiques monétaires des banques centrales.
D’un point de vue financier, Bitcoin garantissant une obligation est une première et ouvre la porte à une philosophie financière préconisée par certains : faire de Bitcoin l’or 2.0 et instaurer un Bretton Woods 2.0 où les différentes monnaies existantes seraient garanties par les banques centrales avec une réserve de bitcoins.
Une telle vision n’a pas encore touché le cœur des banquiers centraux comme le démontre l’intervention d’Andrew Bailey, Gouverneur de la Banque d’Angleterre qui se dit inquiet pour la stabilité financière que ces initiatives pourraient fragiliser. Le Président salvadorien n’a pas manqué de lui répondre sur Twitter :
Conclusion
Tout ce plan a été longuement réfléchi pour en faire un succès. Bitcoin City doit impérativement attirer du monde, c’est pour cela que la politique fiscale est à ce point attractive. Les Bitcoin Bonds ont été imaginés pour tirer parti du plan décidé par Nayib Bukele de faire du Salvador un acteur de premier plan du réseau Bitcoin. L’élément central de cette histoire n’est autre que l’activité volcanique du pays qui permet au Salvador de se placer au-dessus des contraintes énergétiques induites par Bitcoin.
En outre, l’exécution de ce plan sera la clé d’un avenir potentiellement radieux pour le Salvador, le bull run aidant beaucoup. Le principal risque que pourrait rencontrer ce plan serait un bull run ralentissant, ce qui pourrait arriver aux vues de la réaction de Jerome Powell (FED) au variant Omicron : le tapering pourrait être accéléré.