Régulation du minage : vers un Bitcoin plus compliant ?

Dernière modification effectuée le 10.10.2023 17:20

La régulation du minage de Bitcoin

La récente exposition d’investisseurs institutionnels à Bitcoin, dans le sillage de la conversion en bitcoins de plusieurs milliards de dollars de trésorerie par MicroStrategy, a ouvert la voie à des discussions et des initiatives de plus en plus fréquentes concernant la réglementation de Bitcoin. Si la régulation des plateformes d’échange de crypto monnaies fait aujourd’hui partie de nos habitudes (pour le meilleur et pour le pire), c’est un tout nouvel espace qui est aujourd’hui concerné : le réseau Bitcoin lui-même, et notamment l’industrie du minage de Bitcoin. En effet, de plus en plus de pools de minage font aujourd’hui le jeu des régulateurs, qu’il s’agisse de se conformer à des normes environnementales, ou aux réglementations du Trésor américain, comme c’était le cas de la coopérative de minage Marathon jusqu’à très récemment.

Le filtrage des transactions

Pour désigner une forme de minage respectueuse des législations, on parle en anglais de « compliant mining », que l’on pourrait traduire en français par « minage conforme », ou « minage compliant », si l’on se permet cet anglicisme. Une première forme de ce type de minage consiste, pour une pool de minage, à filtrer les transactions qu’elle ajoute dans ses blocs. L’idée est de ne miner que des transactions respectant un ensemble de règles édictées par divers régulateurs. Pour ce faire, il est donc nécessaire de filtrer les transactions récoltées dans le mempool pour exclure celles ne se pliant pas à ces impératifs. Si la chose était possible depuis toujours, il a fallu attendre l’attrait récent des investisseurs institutionnels pour les crypto monnaies, ainsi que l’implication croissante du régulateur, pour pousser certains mineurs à franchir le pas et mettre ce type de techniques en pratique. En effet, il faut garder à l’esprit que, par défaut, les mineurs sélectionnent les transactions qu’ils ajoutent dans un bloc de sorte à maximiser leur profit. Ainsi, une pool de minage intégrant comme contrainte supplémentaire le respect de normes arbitraires extérieures au protocole ne peut a priori qu’être moins rentable, ou à la limite aussi rentable que n’importe quelle autre pool dans le meilleur des cas, toutes choses égales par ailleurs. Il faut donc une incitation forte (financière, politique, coercitive, etc.) pour pousser des mineurs à se plier à ce genre de pratiques.

Le cas de Marathon Digital

La pool de minage de Marathon Digital, souvent abrégée Mara, a été la première à s’y essayer. C’est ainsi que l’entreprise exploitant la coopérative de minage a annoncé, à la toute fin de mars 2021, commencer à filtrer les transactions qu’elle ajoutait dans ses blocs afin de respecter les réglementations contre le blanchiment d’argent, ainsi que les règles de l’Office of Foreign Assets Control, un organisme dépendant du Trésor des Etats-Unis et chargé de l’application des sanctions édictées par Washington dans le domaine financier. Notamment, l’OFAC publie une liste, régulièrement mise à jour, des entités (entreprises, groupuscules, personnes, etc.) ciblées par les sanctions américaines et à qui il est donc prohibé d’envoyer de l’argent (et cette interdiction ne concerne pas que les entreprises américaines). La liste comprend des informations assez variées : adresse postale, numéro de passeport, numéro de compte bancaire, etc., censés permettre aux différents acteurs financiers de s’assurer qu’ils ne transactent pas sans le vouloir avec ces persona non grata. Elle comprend également un total de 152 adresses Bitcoin « blacklistées » (mais aussi, il faut le noter, des adresses pour d’autres crypto monnaies, dont Ethereum, Ethereum Classic, Litecoin, Monero, Zcash, Dash ou même Bitcoin Gold).

Ainsi, lorsque Mara annonce se conformer aux règles de l’OFAC, cela signifie ne miner aucune transaction impliquant l’une de ces 152 adresses Bitcoin. Le respect des règles anti-blanchiment est un peu moins précis (un peu moins binaire) et donc plus sujet à interprétations. L’idée pour Mara, derrière la conformation à ces réglementations, est de miner des bitcoins dits « propres » : aucune transaction illicite n’est présente dans le bloc permettant à la pool de générer ces bitcoins.

La pool a ainsi miné son premier bloc « compliant » le 6 mai 2021, en la personne du bloc numéro 682 170. A cette occasion, Mara a attiré les moqueries car, malgré que le bloc ne contienne en tout et pout tout que 178 transactions (10 fois moins que la moyenne pendant le mois de mai, autour de 1800 transactions par bloc), il incluait tout de même plusieurs transactions à destinations d’adresses identifiées comme appartenant à des plateformes du dark web, comme l’a souligné le chercheur LaurentMT, qui a notamment développé l’outil d’analyse de chaîne en accès libre oxt.me.

Cet outil lui a permis d’identifier ces adresses, qui ne respectent donc a priori pas les réglementations anti-blanchiment, malgré tous les efforts de Marathon. Il faut cependant noter que, dans la transaction coinbase du bloc, la pool de minage annonce seulement que ce dernier est « OFAC compliant ». Or, si l’on compare les adresses impliquées dans les transactions présentes dans le bloc 682 170 et celles blacklistées par l’OFAC, on constate effectivement que la pool de minage n’en incluait aucune. À cet égard, ce bloc était donc bien, au sens strict, conforme aux exigences de l’OFAC.

Gif d'un stadier procédant à des fouilles imaginaires sur de dociles supporters
Rare vidéo de MARA Pool filtrant des transactions

Un coup d’épée dans l’eau

On peut cependant s’interroger sur la pertinence d’une telle mesure. En effet, même si la coopérative de minage s’efforce de n’inclure aucune transaction « illicite », elle ne peut s'empêcher d’ajouter des confirmations supplémentaires aux blocs d’autres mineurs qui en contiennent peut-être, tout simplement parce qu’elle mine sur la même chaîne qu’eux, et en respectant les mêmes règles de consensus que les autres mineurs.

En effet, une transaction Bitcoin ne peut raisonnablement commencer à être considérée comme finale qu’à partir du moment où elle ajoutée dans un bloc. Ensuite, chaque bloc miné au-dessus de celui contenant la transaction entérine un peu plus cette-dernière, car il sera plus compliqué de l’annuler par la suite. Au bout de quelques blocs de profondeur, une transaction peut être considérée comme virtuellement irréversible. La plupart des plateformes d’échange considèrent par exemple une transaction de dépôt comme irréversible à partir du moment où cette dernière a 6 confirmations, c’est-à-dire que 5 blocs ont été minés au-dessus de celui contenant la transaction de dépôt.

Parce qu’elle mine sur la même chaîne que tout le monde, la pool Mara va invariablement miner au-dessus de transactions « frauduleuses », leur amenant des confirmations supplémentaires.

Ainsi, puisque Mara mine sur la chaîne Bitcoin et ajoute ses blocs à la suite de ceux d’autres mineurs, elle participe irrémédiablement à rendre plus irréversibles des transactions non conformes aux règles anti-blanchiment ou de l’OFAC. Ainsi, non seulement Mara n’est pas parvenu stricto sensu à suivre l’objectif qu’elle s’était fixé (car certaines transactions a priori délictueuses ont quand même réussi à se frayer un chemin jusque dans le bloc), mais cet objectif est en plus absurde depuis son inception pour quiconque comprend un tant soit peu le fonctionnement du protocole Bitcoin. Les bitcoins minés par Mara ne sont donc pas plus « propres » que d’autres.

C’est sans doute cette considération, ainsi que le mécontentement de la communauté Bitcoin et le visible manque à gagner (10 fois moins de transactions par bloc implique 10 fois moins de frais collectés) qui ont conduit Marathon à susprendre le filtrage des transactions dans ses blocs, comme l’a annoncé le CEO Fred Thiel dans une vidéo remarquable de naturel. L’entreprise a également annoncé dans le même temps commencer prochainement a signaler Taproot, un soft fork de Bitcoin apportant notamment plus de confidentialité pour les scripts complexes. L’annonce fut rapidement suivie d’effet, puisque les premiers blocs de Marathon signalant Taproot sont apparus quelques jours après, et que la mention « OFAC compliant » à quant à elle disparu de la transaction coinbase des nouveaux blocs minés par la pool.

Le minage vert


Une autre dimension au travers de laquelle le minage de Bitcoin peut-être rendu conforme aux réglementations en vigueur est celui de son impact environnemental. En effet, de nombreuses industries, et notamment les plus lourdes, sont soumises dans diverses juridictions de par le monde à des règles particulières concernant leur impact carbone ou l’émission de polluants. On peut citer par exemple l’obligation pour les forages pétroliers de brûler le méthane s’échappant lors de l’extraction du pétrole, afin de le convertir en dioxyde de carbone, dont le potentiel de réchauffement est près de 30 fois inférieur. Ce n’était donc qu’une question de temps avant que l’industrie du minage de Bitcoin, de plus en plus professionnalisée, soit appelée elle aussi à s’y conformer. Plus encore, Bitcoin étant perçu par toute une frange de la population comme un gaspillage d’énergie, il ne faut pas s’étonner de voir les appels à la régulation du minage – voire, à son interdiction – se faire de plus en plus fréquents, en particulier en période de bull market, quand Bitcoin bénéficie d’une exposition médiatique accentuée auprès du grand public.

Vers une régulation écologique du minage ?

Pour l’instant, aucun régulateur n’a à proprement parlé mis en place de régulation claire sur le minage de Bitcoin qui obligerait par exemple les mineurs à respecter certains quotas d’émissions, lesquelles seraient plus ou moins importantes en fonction du mix énergétique du mineur en question. On peut cependant penser à la Chine, qui semble avoir interdit (ou fortement régulé) le mining en Mongolie Intérieure, au Xinjiang, au Qinghai, régions connues pour la forte intensité carbone de leur mix électrique en raison d’une forte dépendance au charbon ; mais aussi dernièrement au Yunnan et même au Sichuan. Cette dernière province est pourtant connue pour jouir d’une forte capacité de (sur)production hydroélectrique, notamment pendant la saison des pluies, ce qui en fait une bonne localisation pour du minage de Bitcoin bas carbone. Cependant, le reste de l’année, c’est le charbon qui prend bien souvent le relai. Derrière cette décision semble donc se cacher la volonté du Parti Communiste Chinois de réduire ses émissions de carbone pour tenter de s’aligner avec les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris, même si des motifs politiques ne sont bien entendu pas à écarter.

Carte des provinces de Chine. Les 5 régions où une réglementation offensive du minage a été mise en place sont représentées en rouge.

Cependant, même en l’absence d’obligation formelle de la part des Etats, certains mineurs, notamment Nord-Américains, ont décidé de prendre les devants et de s’imposer des standards en termes de mix énergétique. Cela passe notamment par un approvisionnement d’énergie 100% renouvelable, notamment et de plus en plus à partir de photovoltaïque en ce qui concerne les Etats-Unis. Ce type de mesure contraste cependant avec les cas où l’usage d’une énergie décarbonée n’est dû qu’à son avantage économique, comme c’est le cas par exemple lorsqu’un mineur exploite l’énergie excédentaire de barrages hydroélectriques ou de sources géothermiques.

Auto-régulation, le « Bitcoin Mining Council »

Le dernier exemple en date de ces efforts d’auto-régulation d’une partie de l’industrie du minage est la création d’un Bitcoin Mining Council, à l’initiative de Michael Saylor, et réunissant quelques-uns des principaux mineurs américains. Le but de cette initiative, improprement nommée « Conseil », est de promouvoir la transparence des mineurs sur leur mix énergétique, ainsi que l’utilisation de sources d’énergie aussi peu carbonée que possible. Présentée ainsi – comme un simple effort de promotion – l’initiative paraît louable, et tout le monde ou presque s’accorde à dire qu’un minage dont l’approvisionnement électrique émet moins de gaz à effet de serre est une bonne chose, face à la réalité du changement climatique. D’où peut donc venir la formidable levée de boucliers qui a animé l’écosystème Bitcoin à l’annonce de la création de ce Bitcoin Mining Council ?

Logo du « Bitcoin Mining Council »

Tout d’abord, l’un des premiers arguments contre cette initiative est que Bitcoin est déjà fondamentalement bénéfique pour l’environnement sans cette intervention. En effet, les mineurs se tournent vers la source d’énergie la moins chère, et celle-ci étant aujourd’hui le renouvelable (notamment hydroélectrique) et l’énergie fatale (une énergie qui est disponible, pourrait être exploitée sans surcoût économique et environnemental, mais ne l’est pas, en général parce qu’il n’y a pas de demande), par définition neutre en carbone ; tandis que Bitcoin en lui-même, par ses caractéristiques, a de nombreux avantages écologiques (désincitation de la consommation, désintermédiation, etc.). Le Bitcoin Mining Council paraît donc à cet égard superflu, et pourrait même s’avérer contre-productif en laissant croire que Bitcoin aurait besoin d’être corrigé de quelque manière que ce soit.

Mais la véritable critique est ailleurs. Le Bitcoin Mining Council a en effet été vu par beaucoup comme un premier pas vers une régulation du secteur du minage aux Etats-Unis (et ailleurs), sous couvert d’arguments écologiques. Or, une telle régulation pourrait avoir des effets très néfastes sur la décentralisation de la puissance de calcul de Bitcoin. On pourrait par exemple imaginer un scénario dans lequel le minage aux Etats-Unis serait conditionné par le respect de certaines normes environnementales, par exemple un quota d’émissions et une obligation de transparence dans l’approvisionnement électrique, la gestion de la fin de vie des machines, etc. Rien d’étonnant à ce qu’une industrie électro-intensive soit régulée de la sorte. Cependant, le minage de Bitcoin se distingue par un aspect fondamental : il se veut accessible à tous, sans avoir à demander de permission. Chacun peut, s’il le désire et s’il a les moyens de s’offrir une machine compétitive, miner depuis chez lui.

Or, une telle obligation de publicité, si elle venait à être imposée à tout mineur, rendrait le minage amateur très complexe, au point de le décourager. Bien sûr, rien n'empêcherait alors de miner officieusement, mais cela signifierait alors de s’exposer à des pénalités en cas de détection. Ainsi, une telle réglementation, qui en apparence ne chercherait pas à interdire le minage à proprement parler, aurait pour effet d’accélérer la concentration de la puissance de calcul dans les mains de quelques entreprises et de défigurer l’aspect permissionless du réseau Bitcoin. De plus, l’idée même de voir un gouvernement, ou même une entité sans pouvoir coercitif, interférer dans la définition de qui a le droit de miner ou non, est contraire à l’ethos de Bitcoin et un danger pour le réseau tout entier. C’est pourquoi cette idée de Bitcoin Mining Council a été si âprement combattue : elle ressemble au premier pas, discret, d’une prise de contrôle du minage de Bitcoin aux Etats-Unis par un groupe d’entreprises ou d’institutions, d’autant que le souvenir des événements de 2017 autour de SegWit et du New York Agreement est encore bien présent dans les esprits de beaucoup.

Depuis l’annonce de sa création, l’initiative a mis en ligne un site internet, où elle tente de rassurer quant à ses intentions. On peut notamment y lire que le Bitcoin Mining Council n’est rien d’autre qu’un groupe de mineurs indépendants, et à ce titre ne représente qu’une petite partie du réseau et n’a pas vocation à imposer quoi ce soit à qui que ce soit. En outre, l’entité clarifie sa position quant à la consommation énergétique de Bitcoin, si souvent décriée, en indiquant penser que cette-dernière est « une feature, pas un bug, apportant une incroyable sécurité au réseau [Bitcoin] ». Le but semble bien n’être que de promouvoir plus de transparence quant au mix énergétique utilisé, notamment pour les mineurs membres du « Council ».

Conclusion

L’arrivée récente sur le marché d’entreprises et d’institutionnels et la hausse du cours du Bitcoin ont semble-t-il précipité l’arrivée de régulations visant le minage de Bitcoin. Jadis dans l’oeil du cyclone, ce-dernier devra donc dans les années à venir composer avec cette nouvelle donne même si, comme on l’a vu, les premières initiatives en la matière ont été plus que mitigées. Il ne fait aucun doute que les Etats et les Banques Centrales ont aujourd’hui pris conscience de l’impact sans précédent de Bitcoin. Si certains, comme le Salvador, on décidé d’épouser cette révolution, il ne fait guère de doute que de nombreuses institutions financières chercheront à faire plier Bitcoin là où elles le peuvent, en pressant sur les individus et les entreprises qui composent le réseau. La régulation du minage de Bitcoin n’est sans doute qu’un premier pas. Il nous appartient alors à nous, membres à part entière du réseau Bitcoin, de conserver intacte sa proposition originelle. Peut-être la plus grande bataille de notre temps.

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