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Dernière modification effectuée le 14.08.2023 19:49
Deuxième pays le moins développé du monde, la Centrafrique a adopté le 22 avril dernier Bitcoin (BTC) comme monnaie officielle au côté du franc CFA. Par cette décision la Centrafrique est devenu le deuxième pays au monde à donner cours légal au Bitcoin (BTC), après le Salvador qui l’avait déjà fait au cours du mois de septembre 2021.
Si, globalement, la première réaction a été de se féliciter de cette adoption, des intérêts sous-jacents, notamment économiques, semblent l’avoir en fait exclusivement justifié. Pire encore, la loi du 22 avril 2022 serait en réalité illégale car contraire aux principes communautaires auxquels la Centrafrique a adhéré.
Depuis cette date, de nombreux experts juridiques et financiers ont en effet attiré l’attention sur la « réalité cachée » derrière l’adoption du Bitcoin (BTC) en Centrafrique. Il en découle que sa légalisation fait aujourd’hui l’objet de vives polémiques, que ce soit au niveau local mais aussi plus largement au niveau mondial – ou même Moscou pourrait être impliqué. Sur ce dernier point, certains pointent du doigt le fait qu’adopter Bitcoin (BTC) « pourrait être un levier dans la rivalité entre Paris et Moscou ».
Dans le même temps, un autre élément est intrigant : la Centrafrique est un petit pays sous-développé qui ne compte pas plus de cinq millions d’habitants. Sur ces cinq millions, seul un habitant sur dix aurait un accès à internet et un sur six à l’électricité. Or, l’utilisation de cette crypto monnaie demande (et notamment pour le mining) d’avoir accès à l’électricité. Même dans la capitale (Bangui), les coupures d’électricité sont monnaies courante.
On peut aussi penser que l’adoption de Bitcoin n’est certainement pas « la » solution pour dynamiser le territoire, contrairement à ce qu’ont avancé les politiques à l’origine de cette initiative. Rappelons que la Centrafrique est un pays très pauvre, d’autres secteurs tels que l’énergie ou encore le développement des infrastructures auraient peut être mérité une telle attention de la part des dirigeants de la Centrafrique.
De quoi remettre en question la volonté de certains dirigeants africains qui affirmaient jusqu’alors que la légalisation de Bitcoin (BTC) sur le territoire était un moyen de développement du pays et une façon de soutenir l’économie nationale.
N’y aurait-il pas une version « officieuse » de la légalisation du Bitcoin (BTC) en Centrafrique ? Dans ce dossier, nous vous proposons de revenir sur les différents aspects de cette décision.
La légalisation de Bitcoin contraire aux principes communautaires
La loi n°22.004 du 22 avril 2022 a légalisé Bitcoin (BTC) en Centrafrique. En effet, l’article 1 de la loi dispose que :
« La présente loi a pour objet de régir toutes les transactions liées aux crypto monnaies en République Centrafricaine, sans restriction, avec un pouvoir d’émission illimité dans toute sa transaction et à tout titre, effectuées par les personnes physiques ou morales, publiques ou privées. Le bitcoin sera considéré à juste titre comme monnaie de référence« .
Il faut savoir que la Centrafrique est déjà membre d’une union monétaire depuis la signature d’un traité datant du 16 mars 1994, en vigueur en 1999. Cette union monétaire, dénommée Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), est une organisation internationale regroupant plusieurs pays d’Afrique centrale, créée pour prendre le relais de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC).
Or, il s’avère que le traité prévoit dans son article 6 que « L’unité monétaire légale des États membres de l’Union est le Franc CFA ». À s’en tenir à la lettre de cet article, il interdit donc de donner cours légal à toute autre forme de monnaie dans les pays signataires. Pourtant, l’Assemblée nationale du pays n’a pas hésité à promulguer la loi du 22 avril dernier. En conséquence, cette loi – et donc l’adoption de Bitcoin – est une violation du traité instituant la CEMAC.
« C’est un bras d’honneur aux principes communautaires. Cette loi viole les textes de l’Union monétaire en Afrique Centrale (UMAC) auxquels adhère le pays »
Haut cadre de l’administration des Finances de la CEMAC
L’opposition s’était d’ailleurs prononcée en défaveur de cette promulgation. Selon eux, la Centrafrique encouragerait le blanchiment de l’argent sale, en plus de renforcer la fraude fiscale et l’escroquerie pourtant déjà bien présents en Centrafrique.
Pour ces raisons, Abbas Mahamat Tolli, Président de la BEAC, a écrit à Hervé Ndoba, ministre des Finances et du Budget, afin de lui faire part des interrogations qui entourent l’adoption de Bitcoin (BTC) en Centrafrique. La lettre a été relayée sur les réseaux sociaux mais aucune réponse satisfaisante n’a encore été apportée.
Certains juristes mettent en avant une part de responsabilité de la France dans cette affaire. En effet, la France a signé un accord avec la Centrafrique en vertu duquel elle apporte sa « garantie de convertibilité du FCFA ». Cet accord issu des « principes et modalités de fonctionnement de la coopération monétaire » prévoit en contrepartie que la BEAC procède au dépôt auprès du Trésor français d’au moins 50% de ses réserves (CEMAC). Pourtant, force est de constater que la France est restée bien silencieuse depuis le 22 avril dernier.
La légalisation de Bitcoin, une décision favorable à la Russie ?
D’autres soutiennent que la légalisation de Bitcoin (BTC) en Centrafrique serait une décision favorable à Moscou. Pour bien comprendre, il faut souligner le fait que la Russie a déployé de nombreuses troupes sur le territoire africain. En Centrafrique notamment, des centaines de mercenaires russes issus du groupe Wagner sont présents.
Or, vous savez que leurs actifs ont été gelés en décembre dernier par suite des sanctions économiques internationales – principalement occidentales – pour sanctionner l’intervention militaire de la Russie en Ukraine.
En conséquence, une question mérite d’être posée : l’adoption de Bitcoin en Centrafrique ne permettrait-elle pas aux Russes de contourner les sanctions économiques dont ils font l’objet ? Pour le moment il n’est pas possible d’y répondre, seul l’avenir nous le dira.
Quoiqu’il en soit, un chroniqueur du journal Le Monde souligne assez justement que « La monnaie devient une nouvelle arme dans la guerre d’influence que Moscou et Paris se livrent en Afrique ».